Obstacles dans la lutte contre l'impunité : expériences tirées de la mise en oeuvre de la Loi colombienne sur la justice et la paix
L'auteur de cet article, Clara Sandoval*, s'est rendue en Colombie en mars 2007 dans le cadre d'une mission de la International Bar Association. Le but de la mission était d'identifier les domaines dans lesquels la mise en oeuvre de la Loi sur la Justice et la Paix (Ley de Justicia y Paz, Ley 975/ 2005) et la lutte contre l'impunité pouvaient être favorisées par un soutien technique. Ces quelques lignes donnent un bref aperçu des problèmes rencontrés.
Tiré du bulletin d'information de TRIAL (été 2007)
En Colombie, il continue de régner une situation de conflit armé à laquelle participent au moins quatre parties différentes, à savoir les FARC, l'ELN, des groupes paramilitaires, ainsi que l'armée colombienne. Des milliers de personnes ont ainsi disparu, été torturées ou assassinées et des millions d'autres ont été chassées de leurs terres. Le président Alvaro Uribe est entré en fonction avec la promesse de mettre fin au conflit et l'une de ses propositions était la démobilisation des troupes paramilitaires. Se posait alors la question pour la société de savoir comment réagir et gérer les crimes commis par les paramilitaires dans le cadre du conflit. La
réponse a été formulée sous la forme d'une loi : la Loi sur la justice et la paix. En vertu de celleci, chaque membre d'un groupe armé qui dépose les armes a la possibilité d'avouer ses crimes.
Dans la mesure où il fournit un témoignage complet et authentique, il reçoit, en fonction de la gravité des faits, une peine allant de 5 à 8 ans, ce qui est considérablement plus clément que les peines prononcées dans le cadre du système ordinaire des sanctions. La loi prévoit en outre l'obligation pour les auteurs d'indemniser leurs victimes de leur propre poche. La loi confère également de nouvelles fonctions à diverses institutions existantes ou nouvellement créées, tels que le Ministère public, l'Ombudsmann, les tribunaux nationaux et la
Commission des réparations. L'Etat a cependant omis d'assurer la mise en oeuvre concrète de ces nouvelles fonctions par l'allocation de ressources à cet effet. Les institutions respectives doivent donc assumer ces compétences supplémentaires dans le cadre de leur budget existant.
Environ 27'569 personnes ont déjà déposé les armes. Parmi ces personnes, 2'812 ont l'intention de faire leurs aveux devant le Ministère public. La division spéciale du Ministère public qui est compétente pour les cas tombant sous le coup de la Loi sur la justice et la paix a été dotée de 21 Procureurs choisis parmi la liste des employés actuellement stationnés à Bogotá, Barranquilla et Medellín. Cela signifie que chaque Procureur est chargé de 133 cas. Il paraît d'ores et déjà douteux que les ressources à disposition puissent suffire à traiter ces cas ; à cela s'ajoute encore le fait qu'en vertu de la loi, le Ministère public ne dispose que de 60 jours à compter des aveux pour instruire l'état de fait avoué.
Depuis décembre 2006, 41 procédures ont été introduites et 51 auditions tenues. Seul un des auteurs, connu sous le pseudonyme de "Loro", est en attente de l'acte d'accusation et du prononcé de la peine alternative par le tribunal compétent au sens de la Loi sur la justice et la paix. Cela signifie que, jusqu'à présent, seules 1.45 % des personnes qui devraient faire l'objet de poursuites pénales doivent effectivement s'attendre à être punies. Mais les problèmes vont au-delà des manques de moyens pour enquêter.
Plus de 41'000 victimes sont, à ce jour, enregistrées auprès du Ministère public. Parmi elles, moins de 5% ont été en mesure de produire tous les documents requis par la loi pour pouvoir assister aux aveux. Le fardeau de la preuve imposé aux victimes - elles doivent prouver leur qualité de victimes et qu'elles ont subi un préjudice - pèse lourd. Les preuves nécessaires sont difficiles à trouver dans un pays dans lequel les crimes sont commis sur des décennies, où la persécution est quotidienne et où les victimes ne disposent même pas de certificat de naissance ou de carte d'identité. Ces obstacles, auxquels doivent faire face les victimes afin de pouvoir prendre partie à la procédure, représentent un déni de justice et empêchent la reconstitution des événements et des faits.
Plus grave encore : les victimes autorisées à participer à la procédure ne bénéficient d'aucun programme de protection. En février dernier, Yolanda Izquierdo a été assassinée à Monteria et ce, bien qu'elle ait instamment demandé à être mise sous protection. Elle avait participé en qualité de victime à l'audition de Mancuso, l'un des chefs de file des paramilitaires et contre lequel plus de 4'000 plaintes ont été déposées. Cela démontre que l'Etat a négligé de mettre en place un système efficace de protection des témoins, victimes, ou auxiliaires de la justice.
On peut également relever que, par exemple, les fosses communes ne sont pas toujours exhumées par des personnes qualifiées et la mise en sûreté des moyens de preuve est souvent négligée. L'indentification des corps n'aboutit que rarement. D'après le Ministère public, 704 cadavres ont été exhumés entre mars 2006 et mai 2007, dont seulement 47 ont pu être identifiés. Qui plus est, beaucoup des corps retrouvés "disparaissent" à nouveau, parce que, après une tentative d'identification infructueuse, ils sont réenterrés dans des tombes anonymes.
Bien que des anthropologues qualifiés soient présents lors de l'exhumation, leur nombre est bien trop restreint pour pouvoir se charger du nombre élevé des victimes. Il serait nécessaire d'avoir un programme global pour l'exhumation systématique des victimes du conflit et la mise à disposition des outils adéquats des personnes en charge. Par ailleurs, les familles des victimes doivent davantage être mises à contribution dans l'identification de leurs proches assassinés.
Il est également nécessaire d'uniformiser et centraliser le traitement des informations concernant les personnes absentes ou " disparues ". Pour l'heure, différentes institutions se chargent de cette tâche. Elles suivent toutefois des directives différentes, ce qui rend difficile de déterminer si et dans quelles circonstances une personne a disparu. L'absence de ce genre d'informations constitue un obstacle à l'exhumation et à l'identification des victimes.
Ce ne sont que quelques-uns des exemples des obstacles qui rendent plus difficile la lutte contre l'impunité en Colombie. Cela montre bien que des changements sont nécessaires dans différents domaines afin de réduire de manière conséquente l'impunité, de traduire les auteurs de crimes devant les tribunaux et d'assurer que les victimes soient prises au sérieux.
* Chargée de cours - co-directrice du programme LL.M. in International Human Rights Law, Essex University.