dimanche 29 juin 2008

Le mariage forcé enfin reconnu comme crime contre l’humanité

Par Anne Althaus

Le 22 février 2008, la Chambre d’appel du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) a reconnu que les mariages forcés reprochés aux trois accusés Brima, Kamara et Kanu dans l’affaire du groupe armé « Conseil Révolutionnaire des Forces Armées » (AFRC), constituaient un crime contre l’humanité.

Cela faisait bien longtemps que le débat était ouvert au sujet de la criminalisation des mariages forcés perpétrés durant des attaques contre la population civile et plus généralement en temps de conflits armés. Pour la première fois dans l’histoire du droit international pénal, le mariage forcé a été reconnu par la plus haute instance d’un Tribunal mixte – aux conditions que nous évoquerons ci-dessous – comme un crime à part entière, distinct de l’esclavage sexuel.

Ce jugement en appel du TSSL est donc historique. Il ouvre de nouvelles perspectives de poursuites et de réparation pour les femmes victimes de telles atrocités, non seulement en Sierra Leone mais dans d’autres régions affectées. Pour les nombreuses femmes qui ont enduré ces sévices durant le conflit qui a fait rage en Sierra Leone de 1991 à 2002, et que l’on a stigmatisées sous le nom de « Bush Wives » (épouses de la jungle), cette décision est certainement à marquer d’une pierre blanche.

Revenons brièvement sur l’évolution du concept de mariage forcé, avant de résumer la définition juridique qu’en a donnée la Chambre d’appel du TSSL.

Il n’est plus à démontrer qu’en cas de conflits armés ou d’attaques contre la population civile, les femmes sont presque toujours victimes de violences, notamment sexuelles : viol, prostitution forcée, ou encore esclavage sexuel sont perpétrés dans un but stratégique (répandre la terreur ou démoraliser l’opposant) ou encore dans celui de « divertir » les combattants.

En plus de ces atrocités, les mariages forcés ont souvent été dénoncés par des organisations de défense des droits de l’homme. Ainsi, le mariage forcé était une forme commune de violences contre les femmes durant le génocide au Rwanda. Cependant, si dans l’affaire Akayesu le Tribunal pénal international pour le Rwanda avait estimé que le viol et autres formes de violences sexuelles décrits par les victimes lors du procès incluaient, en autres exactions, des mariages forcés, ces derniers n’avaient pas été reconnus comme crimes distincts des autres formes de violences sexuelles.

Quant au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) de 1998, il ne mentionne pas la notion de mariage forcé.

Le Statut du TSSL est calqué à cet égard sur le Statut de la CPI, comme celui-ci représentait alors la codification la plus récente en matière de crime contre l’humanité. Il ne mentionne donc pas le mariage forcé dans ses dispositions.

Néanmoins, une Chambre de première instance du TSSL avait approuvé, par décision du 7 mai 2004, une motion du Procureur visant à ajouter le chef d’accusation de « mariage forcé » sous la qualification juridique d’ « autres actes inhumains » (article 2 lit. i du Statut du TSSL) à l’encontre des prévenus dans l’affaire AFRC. La Chambre de première instance avait cependant plus tard considéré, dans son jugement du 20 juin 2007, que le crime d’« autres actes inhumains » devait être restrictivement interprété pour exclure les crimes de nature sexuelle, car, selon cette Chambre, l’article 2.g du Statut inclut «toutes autres formes de violence sexuelle ». La Chambre avait estimé que le Procureur n’avait pas présenté de preuve que le mariage forcé était un crime non sexuel, et que les preuves étaient totalement comprises et « absorbées » dans le crime d’esclavage sexuel. A cet égard, cette Chambre avait considéré que le terme de « femme » utilisé par l’auteur du crime démontrait sa possession de la victime plutôt qu’un statut marital.

Sur appel du Procureur, la Chambre d’appel du TSSL a estimé dans son jugement du 22 février 2008 que ce raisonnement était erroné.

Tout d’abord, les juges ont examiné la portée du crime d’ « autres actes inhumains » et ont conclu, sur la base d’une interprétation téléologique et de la jurisprudence des tribunaux internationaux, que les crimes de nature sexuelle n’en sont nullement exclus. Les juges ont rappelé que le but de cette disposition non exhaustive était précisément d’éviter qu’une liste stricte d’actes permette aux bourreaux de la contourner, en imaginant sans cesse de nouvelles formes d’actes inhumains.

Deuxièmement, la Chambre d’appel a considéré que les auteurs des mariages forcés avaient l’intention d’imposer à leurs victimes une « association conjugale forcée », plutôt que de les soumettre à l’esclavage. Parmi les preuves d’une telle association conjugale, les juges ont retenu celles qui démontraient que des femmes et des jeunes filles avaient été systématiquement enlevées de leurs foyers par les troupes AFRC, forcées à suivre ces troupes, à accomplir des tâches conjugales incluant des relations sexuelles, des travaux domestiques pour le « mari », à accepter des grossesses, et à s’occuper des enfants issus du soit-disant « mariage ». Cette « épouse » était supposée démontrer au « mari » une loyauté totale, ainsi qu’« amour » et affection. En retour, le « mari » était censé pourvoir à la nourriture, aux vêtements et à la protection de sa « femme », y compris contre le viol par les autres combattants. A l’inverse, cette protection -bien que très relative- n’était pas garantie lorsqu’une femme était utilisée uniquement comme esclave sexuelle. Les juges ont noté, et c’est important, que les relatifs bénéfices de cette association conjugale pour les victimes n’équivalaient nullement à un consentement, ni ne changeait la nature criminelle du mariage forcé. De plus, une femme qui n’exécutait pas ses devoirs « conjugaux » risquait des sanctions pouvant aller jusqu’à la mort.

La Chambre d’appel a conclu que la mariage forcé n’est pas « absorbé » par le crime d’esclavage sexuel car les éléments des deux crimes diffèrent, et que le crime de mariage forcé n’est pas nécessairement un crime sexuel, puisque le sexe n’en est pas la seule incidence.

En outre, les juges en appel ont estimé que ces femmes avaient enduré de grandes souffrances non seulement durant le mariage forcé (terreur, abus sexuels et physiques), mais aussi en conséquence d’une telle union (lésions dans le bas ventre, utérus endommagé, maladies vénériennes). Les juges ont aussi relevé la stigmatisation subie par ces femmes, ostracisées par la société sierra léonaise, désignées par les expressions péjorative de « femmes de rebelles » ou d’« épouses de la jungle ». La Chambre d’appel en a conclu que le mariage forcé, dans ce contexte, était de gravité similaire à certains autres crimes contre l’humanité reconnus par le droit international.

Il faut souligner que les juges ont désiré nettement distinguer de tels mariages forcés en temps de conflit ou d’attaque, des mariages arrangés par les familles en temps de paix, selon certaines traditions. Ils ont néanmoins reconnu que les mariages arrangés impliquant des mineurs violent certaines normes de droits de l’homme comme la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes. De tels mariages arrangés n’en sont pas pour autant criminels, à la différence des mariages forcés.

De ce qui précède la Chambre d’appel a conclu que la mariage forcé pouvait être défini comme «une situation où l’auteur, par ses mots ou sa conduite, oblige une personne par la force, la menace de la force ou la contrainte, à être sa partenaire conjugale, engendrant une souffrance sévère ou un dommage à la santé physique, mentale ou psychologique. » Ils ont ajouté qu’au regard des circonstances dans lesquelles ces mariages forcés étaient perpétrés (enlèvement, extrême violence) leurs auteurs ne pouvaient ignorer que leur comportement était criminel.

Ce jugement final du TSSL est donc d’une grande importance et, même si les juges ont mentionné qu’il s’inscrivait dans le contexte spécifique du conflit sierra léonais, il faudra désormais observer attentivement son incidence sur la poursuite des mariages forcés commis dans d’autres régions. Par exemple en Ouganda, des femmes sont enlevées par l’Armée de Résistance du Seigneur et données comme « épouses » à des commandants. Notons encore que la reconnaissance du mariage forcé en tant que crime contre l’humanité permet de le poursuivre également s’il intervient en dehors d’un conflit armé, durant une attaque contre la population civile. C’est un pas de plus contre l’impunité de certains combattants qui profitent d’une situation de non-droit pour infliger ce traitement inhumain à des femmes et des jeunes filles.

Anne Althaus



[*] Cet article a été publié dans le Journal de TRIAL n° 16 (juin 2008, pp. 10-11), disponible à l’adresse web suivante : http://www.trial-ch.org/fileadmin/user_upload/documents/BI/BI16frweb.pdf; © TRIAL et Anne Althaus.



Anne Althaus, ancienne conseillère juridique auprès du Bureau du Procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, est
actuellement l’
ICC Programme Adviser auprès de l’Organisation « Redress » à Londres. Les opinions exprimées dans cet
article sont uniquement celles de l’auteur. Elles ne reflètent pas le point de vue et n’engagent ni TRIAL ni les organisations
avec lesquelles l’auteur est liée.


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