dimanche 29 juin 2008

Enfants soldats: le problème des filles (*)

Aujourd’hui, plus de 300'000 enfants de moins de 18 ans luttent comme combattants, aux côtés de forces gouvernementales ou d’opposition, dans plus de 30 pays dans le monde. C’est en Afrique que les forces et groupes armés recourent le plus aux enfants soldats, dont le nombre est officiellement estimé à 120'000. L’utilisation des enfants soldats n’est pas sexuellement neutre: bien que la plupart des enfants soldats soient certes des garçons, la proportion moyenne de filles s’élève à 1/3 contre 2/3 de garçons. Les filles sont pourtant rarement reconnues comme enfants soldats : c’est ainsi qu’on parle souvent de « filles invisibles ». Parmi les enfants impliqués dans des conflits armés à l’échelle mondiale, on ne compte pourtant aujourd’hui pas moins de 120’000 filles. En novembre 2004, des filles engagées dans des forces armées combattaient dans au moins 13 pays, à savoir : le Burundi, la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, le Libéria, le Soudan, l’Ouganda, la Colombie, l’Inde, l’Indonésie, le Myanmar, le Népal, le Sri Lanka, ainsi qu’Israël et les territoires occupés palestiniens. Le problème des filles présentes dans les forces armées et groupes rebelles n’a pas bénéficié d’une attention suffisante jusqu’ici. Dépasser la vision réductrice qui associe traditionnellement l’enfant soldat au garçon armé et assurer la visibilité des filles est indispensable pour mettre en oeuvre des programmes d’aide appropriés, qui permettront la démobilisation et la réintégration de tous les acteurs du conflit.

L’augmentation massive des enfants soldats est directement liée au changement de la nature des conflits, devenus en grande majorité internes, et à la prolifération des armes légères. En outre, lors d’un conflit, l’insécurité généralisée, mêlée à des conditions économiques et sociales difficiles, pousse un grand nombre de jeunes à se militariser pour survivre, y compris les filles. C’est parfois pour fuir des violences domestiques ou sortir d’une position d’exclusion et de subordination dans laquelle les confinent leur communauté que les filles décident de s’enrôler. L’attrait d’un certain statut socialement reconnu et respecté peut aussi motiver certaines jeunes filles, en quête d’indépendance, qui revendiquent un traitement égalitaire entre hommes et femmes, par exemple aux Philippines et au Sri Lanka. Les enfants constituent des atouts militaires considérables pour les groupes armés. Faciles à manipuler, motiver ou intimider, ils se montrent plus obéissants que les adultes, s’adaptent mieux à leur nouvel environnement et coûtent moins cher. Ainsi, beaucoup de groupes armés (RUF en Sierra Leone, ARS au Nord de l’Ouganda ou encore la FRPI au Congo pour n’en citer que quelques uns) ont pratiqué des enlèvements massifs d’enfants, garçons comme filles, afin de renflouer leurs rangs. Même si les groupes rebelles ont manifestement une tendance plus prononcée à recruter des filles soldats, ces dernières sont cependant utilisées dans toutes les forces et groupes armés, qu’il s’agisse d’armées gouvernementales, d’organisations paramilitaires ou de milices. Les filles intéressent particulièrement les groupes armés, puisqu’elles s’acquittent de toutes les tâches domestiques nécessaires au soutien de l’effort de guerre. Elles remplissent des fonctions multiples, qui souvent se cumulent ; cuisinières, porteuses de munitions ou d’armes, guets, espionnes, informatrices, messagères, elles sont généralement contraintes de fournir également des services sexuels aux combattants. Ce sont là sans doute les activités les moins militarisées et donc les moins visibles. Cependant, contrairement aux idées reçues, les filles participent aussi au combat. Les études réalisées sur le terrain ont révélé en effet qu’en 2002, la moitié des filles faisant partie de forces armées décrivaient leur rôle premier comme celui de combattantes sur les lignes de front. En Sierra Leone, le RUF avait créé les « Small Girls Units », rangs spéciaux composés de filles âgées de 6 à 15 ans, utilisées pour des tâches ménagères et d’appui militaire mais dont la plupart avait subi un entraînement militaire préalable.


La lecture des textes juridiques en la matière révèle que le droit international n’a pas encore réellement intégré la dimension du problème des filles impliquées dans les conflits armés. Celles-ci ne sont en effet pas traitées de manière autonome par les instruments juridiques pertinents, puisqu’elles appartiennent légalement à la catégorie des enfants. Le droit humanitaire fixe à 15 ans l’âge minimum pour le recrutement et la participation d’enfants dans les conflits armés internationaux comme non-internationaux, standard qui s’applique à toutes les parties au conflit, gouvernementales ou non. La Convention relative aux droits de l’enfant reprend et réaffirme les règles fixées par le droit humanitaire, tandis que son Protocole concernant l’implication des enfants dans les conflits armés relève de 15 à 18 ans l’âge minimal de la participation des enfants aux hostilités, et ce également pour les groupes armés. Instrument clé en la matière, le Protocole ne fait cependant ni référence aux filles, ni distinction de genre, et ce même lorsqu’il aborde les programmes de démobilisation. Seuls les Principes du Cap adoptés à l’issue d’une conférence internationale sur les enfants soldats tenue en 1997 en Afrique du Sud, repris et développés par les Principes de Paris en 2007, mettent en évidence la situation particulière des filles. On y trouve notamment une définition de l’enfant soldat, à savoir « toute personne âgée de moins de 18 ans faisant partie d’une force ou d’un groupe armé, régulier ou irrégulier, à quelque titre que ce soit, par exemple en tant que cuisinier, porteur ou messager, ainsi que toute personne accompagnant ces groupes autres que les membres de la famille, y compris les filles recrutées à des fins sexuelles et de mariage forcé. Le terme enfant soldat ne s’applique donc pas uniquement à un enfant qui porte ou a porté les armes ». Cette définition, unanimement acceptée par l’UNICEF et un grand nombre d’ONG actives dans le domaine de la protection de l’enfance, rompt clairement avec l’image stéréotypée des enfants soldats. L’adoption d’une définition contraignante de l’enfant soldat, qui se base sur les ces Principes paraît aujourd’hui indispensable.


Du point de vue pénal, les Statuts de la Cour pénale internationale (CPI) et du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) considèrent la conscription ou l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans les forces armées comme un crime de guerre engageant la responsabilité pénale individuelle des auteurs. Le TSSL a par ailleurs confirmé le caractère coutumier de ce crime. La décision de confirmation des charges, rendue à la CPI le 29 janvier 2007 dans l’affaire Lubanga, spécifie que ce dernier est accusé d’avoir enrôlé et fait participer des enfants au conflit armé en Ituri, garçons comme filles. Il faut relever encore que les mandats d’arrêt à l’encontre de Germain Katanga, Mathieu Ngudjolo Chui et Bosco Ntaganda comportent tous un chef d’accusation en relation avec leur rôle dans le recrutement d’enfants.


Après un conflit armé, la réadaptation à la vie civile des filles associées aux forces armées revêt une importance déterminante sur leur identité future et sur leurs perspectives d’avenir en tant que femme. Or, les opérations d’aide internationale ont trop souvent négligé les besoins particuliers des filles dans la mise en place des programmes DDR (désarmement – démobilisation – réintégration). Les expériences DDR entreprises depuis 2000 ont en effet permis à la communauté internationale de prendre conscience, enfin, de la nécessité de tenir pleinement compte des filles dans le processus de paix, en tant que groupe distinct.


Les critères d’éligibilité aux programmes DDR ont généralement été établis de manière trop étroite, alors que la définition des personnes qualifiées comme « combattants » doit impérativement être élargie pour comprendre dans son acception les personnes qui remplissent des fonctions auxiliaires. En effet, seule une définition suffisamment large permettra de garantir une approche du genre et la participation des filles au processus DDR. Le récent succès des programmes DDR au Libéria est justement attribué en partie à un élargissement de la définition de combattant, qui a nettement facilité l’entrée des filles dans les structures mises en place. Renverser le phénomène d’exclusion des filles passe aussi par l’identification des obstacles à leur participation. Beaucoup d’entre elles ne souhaitent pas révéler officiellement leur identité militaire car elles sont souvent victimes d’une stigmatisation et d’une marginalisation de la part de leur famille, parfois de la communauté toute entière. Ainsi, un travail de proximité avec les communautés permettra une meilleure réinsertion des filles, notamment avec des associations nationales de femmes. Enfin, le fait d’avoir appartenu à des forces armées a souvent permis aux filles d’acquérir des compétences et aptitudes nouvelles qu’il convient de prendre en considération dans l’effort de reconstruction post-conflictuelle.


Régine Gachoud**


* Cet article a été publié dans le Journal de TRIAL n° 16 (juin 2008, pp. 11-12), disponible à l’adresse web suivant : www.trial-ch.org/fileadmin/user_upload/documents/BI/BI16frweb.pdf ; © TRIAL et Régine Gachoud.

**Régine Gachoud est juriste au Bureau du Procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Les opinions exprimées dans cet article sont uniquement celles de l’auteur. Elles ne reflètent pas le point de vue et n’engagent ni TRIAL ni les organisations avec lesquelles l’auteur est liée.

Le mariage forcé enfin reconnu comme crime contre l’humanité

Par Anne Althaus

Le 22 février 2008, la Chambre d’appel du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) a reconnu que les mariages forcés reprochés aux trois accusés Brima, Kamara et Kanu dans l’affaire du groupe armé « Conseil Révolutionnaire des Forces Armées » (AFRC), constituaient un crime contre l’humanité.

Cela faisait bien longtemps que le débat était ouvert au sujet de la criminalisation des mariages forcés perpétrés durant des attaques contre la population civile et plus généralement en temps de conflits armés. Pour la première fois dans l’histoire du droit international pénal, le mariage forcé a été reconnu par la plus haute instance d’un Tribunal mixte – aux conditions que nous évoquerons ci-dessous – comme un crime à part entière, distinct de l’esclavage sexuel.

Ce jugement en appel du TSSL est donc historique. Il ouvre de nouvelles perspectives de poursuites et de réparation pour les femmes victimes de telles atrocités, non seulement en Sierra Leone mais dans d’autres régions affectées. Pour les nombreuses femmes qui ont enduré ces sévices durant le conflit qui a fait rage en Sierra Leone de 1991 à 2002, et que l’on a stigmatisées sous le nom de « Bush Wives » (épouses de la jungle), cette décision est certainement à marquer d’une pierre blanche.

Revenons brièvement sur l’évolution du concept de mariage forcé, avant de résumer la définition juridique qu’en a donnée la Chambre d’appel du TSSL.

Il n’est plus à démontrer qu’en cas de conflits armés ou d’attaques contre la population civile, les femmes sont presque toujours victimes de violences, notamment sexuelles : viol, prostitution forcée, ou encore esclavage sexuel sont perpétrés dans un but stratégique (répandre la terreur ou démoraliser l’opposant) ou encore dans celui de « divertir » les combattants.

En plus de ces atrocités, les mariages forcés ont souvent été dénoncés par des organisations de défense des droits de l’homme. Ainsi, le mariage forcé était une forme commune de violences contre les femmes durant le génocide au Rwanda. Cependant, si dans l’affaire Akayesu le Tribunal pénal international pour le Rwanda avait estimé que le viol et autres formes de violences sexuelles décrits par les victimes lors du procès incluaient, en autres exactions, des mariages forcés, ces derniers n’avaient pas été reconnus comme crimes distincts des autres formes de violences sexuelles.

Quant au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) de 1998, il ne mentionne pas la notion de mariage forcé.

Le Statut du TSSL est calqué à cet égard sur le Statut de la CPI, comme celui-ci représentait alors la codification la plus récente en matière de crime contre l’humanité. Il ne mentionne donc pas le mariage forcé dans ses dispositions.

Néanmoins, une Chambre de première instance du TSSL avait approuvé, par décision du 7 mai 2004, une motion du Procureur visant à ajouter le chef d’accusation de « mariage forcé » sous la qualification juridique d’ « autres actes inhumains » (article 2 lit. i du Statut du TSSL) à l’encontre des prévenus dans l’affaire AFRC. La Chambre de première instance avait cependant plus tard considéré, dans son jugement du 20 juin 2007, que le crime d’« autres actes inhumains » devait être restrictivement interprété pour exclure les crimes de nature sexuelle, car, selon cette Chambre, l’article 2.g du Statut inclut «toutes autres formes de violence sexuelle ». La Chambre avait estimé que le Procureur n’avait pas présenté de preuve que le mariage forcé était un crime non sexuel, et que les preuves étaient totalement comprises et « absorbées » dans le crime d’esclavage sexuel. A cet égard, cette Chambre avait considéré que le terme de « femme » utilisé par l’auteur du crime démontrait sa possession de la victime plutôt qu’un statut marital.

Sur appel du Procureur, la Chambre d’appel du TSSL a estimé dans son jugement du 22 février 2008 que ce raisonnement était erroné.

Tout d’abord, les juges ont examiné la portée du crime d’ « autres actes inhumains » et ont conclu, sur la base d’une interprétation téléologique et de la jurisprudence des tribunaux internationaux, que les crimes de nature sexuelle n’en sont nullement exclus. Les juges ont rappelé que le but de cette disposition non exhaustive était précisément d’éviter qu’une liste stricte d’actes permette aux bourreaux de la contourner, en imaginant sans cesse de nouvelles formes d’actes inhumains.

Deuxièmement, la Chambre d’appel a considéré que les auteurs des mariages forcés avaient l’intention d’imposer à leurs victimes une « association conjugale forcée », plutôt que de les soumettre à l’esclavage. Parmi les preuves d’une telle association conjugale, les juges ont retenu celles qui démontraient que des femmes et des jeunes filles avaient été systématiquement enlevées de leurs foyers par les troupes AFRC, forcées à suivre ces troupes, à accomplir des tâches conjugales incluant des relations sexuelles, des travaux domestiques pour le « mari », à accepter des grossesses, et à s’occuper des enfants issus du soit-disant « mariage ». Cette « épouse » était supposée démontrer au « mari » une loyauté totale, ainsi qu’« amour » et affection. En retour, le « mari » était censé pourvoir à la nourriture, aux vêtements et à la protection de sa « femme », y compris contre le viol par les autres combattants. A l’inverse, cette protection -bien que très relative- n’était pas garantie lorsqu’une femme était utilisée uniquement comme esclave sexuelle. Les juges ont noté, et c’est important, que les relatifs bénéfices de cette association conjugale pour les victimes n’équivalaient nullement à un consentement, ni ne changeait la nature criminelle du mariage forcé. De plus, une femme qui n’exécutait pas ses devoirs « conjugaux » risquait des sanctions pouvant aller jusqu’à la mort.

La Chambre d’appel a conclu que la mariage forcé n’est pas « absorbé » par le crime d’esclavage sexuel car les éléments des deux crimes diffèrent, et que le crime de mariage forcé n’est pas nécessairement un crime sexuel, puisque le sexe n’en est pas la seule incidence.

En outre, les juges en appel ont estimé que ces femmes avaient enduré de grandes souffrances non seulement durant le mariage forcé (terreur, abus sexuels et physiques), mais aussi en conséquence d’une telle union (lésions dans le bas ventre, utérus endommagé, maladies vénériennes). Les juges ont aussi relevé la stigmatisation subie par ces femmes, ostracisées par la société sierra léonaise, désignées par les expressions péjorative de « femmes de rebelles » ou d’« épouses de la jungle ». La Chambre d’appel en a conclu que le mariage forcé, dans ce contexte, était de gravité similaire à certains autres crimes contre l’humanité reconnus par le droit international.

Il faut souligner que les juges ont désiré nettement distinguer de tels mariages forcés en temps de conflit ou d’attaque, des mariages arrangés par les familles en temps de paix, selon certaines traditions. Ils ont néanmoins reconnu que les mariages arrangés impliquant des mineurs violent certaines normes de droits de l’homme comme la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes. De tels mariages arrangés n’en sont pas pour autant criminels, à la différence des mariages forcés.

De ce qui précède la Chambre d’appel a conclu que la mariage forcé pouvait être défini comme «une situation où l’auteur, par ses mots ou sa conduite, oblige une personne par la force, la menace de la force ou la contrainte, à être sa partenaire conjugale, engendrant une souffrance sévère ou un dommage à la santé physique, mentale ou psychologique. » Ils ont ajouté qu’au regard des circonstances dans lesquelles ces mariages forcés étaient perpétrés (enlèvement, extrême violence) leurs auteurs ne pouvaient ignorer que leur comportement était criminel.

Ce jugement final du TSSL est donc d’une grande importance et, même si les juges ont mentionné qu’il s’inscrivait dans le contexte spécifique du conflit sierra léonais, il faudra désormais observer attentivement son incidence sur la poursuite des mariages forcés commis dans d’autres régions. Par exemple en Ouganda, des femmes sont enlevées par l’Armée de Résistance du Seigneur et données comme « épouses » à des commandants. Notons encore que la reconnaissance du mariage forcé en tant que crime contre l’humanité permet de le poursuivre également s’il intervient en dehors d’un conflit armé, durant une attaque contre la population civile. C’est un pas de plus contre l’impunité de certains combattants qui profitent d’une situation de non-droit pour infliger ce traitement inhumain à des femmes et des jeunes filles.

Anne Althaus



[*] Cet article a été publié dans le Journal de TRIAL n° 16 (juin 2008, pp. 10-11), disponible à l’adresse web suivante : http://www.trial-ch.org/fileadmin/user_upload/documents/BI/BI16frweb.pdf; © TRIAL et Anne Althaus.



Anne Althaus, ancienne conseillère juridique auprès du Bureau du Procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, est
actuellement l’
ICC Programme Adviser auprès de l’Organisation « Redress » à Londres. Les opinions exprimées dans cet
article sont uniquement celles de l’auteur. Elles ne reflètent pas le point de vue et n’engagent ni TRIAL ni les organisations
avec lesquelles l’auteur est liée.


vendredi 23 mai 2008

Félicien Kabuga en Norvège?! Mais que fait la police?


Etrange, très étrange.

L'agence de presse Hirondelle, spécialisée sur le travail du TPIR, annonce dans un article du 22 mai 2008, que Félicien Kabuga, le fugitif le plus recherché par la juridiction chargée de juger les auteurs du génocide de 1994, résiderait en Norvège depuis le mois de mars de cette année.

Si cette information est vérifiée - et à l'heure d'écrire ces lignes, le 23 mai à midi, elle ne l'est pas - le scandale est énorme.

Voilà le principal financier du génocide, recherché depuis 14 ans, que les Suisses ont expulsé en 1994 au lieu de l'arrêté, réfugié au Kenya depuis de longues années, voilà un type dont la tête est mise à prix par les Etats-Unis, et qui résiderait paisiblement en Norvège depuis des mois et négocierait même se reddition avec le Rwanda!!!

Mais que fait donc la police (norvégienne)???

mardi 20 mai 2008

Note de lecture: They Would Never Hurt a Fly (Slavenka Drakulic)


Depuis la Croatie, où elle est née en 1949, jusqu’aux salles d’audiences du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye, la journaliste Slavenka Drakulic nous fait partager sa vision du conflit en Yougoslavie et de ses conséquences. Dans They would never hurt a fly (ils ne feraient pas de mal à une mouche), l’auteur nous raconte le conflit yougoslave à travers le point de vue de ses responsables. En y mêlant des éléments de sa vie personnelle, elle démontre que ces personnes, qui se sont rendues coupables des pires atrocités, étaient aussi des gens normaux, avec un passé commun.

Ainsi, elle dresse le portrait de Goran Jelisic, Radislav Krstic, Slobodan Milosevic et son épouse Mirjana Mira Markovic, ou encore ceux de Ratko Mladic, Radovan Karadzic et Biljana Plasvic, la première femme à avoir été condamnée par le TPIY mais également la première à avoir reconnu sa culpabilité. Chez tous ces ‘monstres’, elle révèle une part d’humanité qui amène le lecteur à se demander ce qu’il aurait fait dans une telle situation. Ce questionnement se fait encore plus fort à la lecture du portrait de Drazen Erdemovic, un simple soldat qui, un beau jour, a reçu l’ordre d’exécuter des centaines d’inconnus. En décrivant la gestion de l’après-guerre par le gouvernement croate de Tudjman ou la manière dont est perçue la justice pénale internationale dans les Balkans où certains criminels de guerre sont encore acclamés comme des héros, l’auteur met en exergue les oppositions entre vérité et justice inhérentes à de tels conflits fratricides.

Dans cet ouvrage, Slavenka Drakulic souligne également l’importance des procès, tant pour ceux qui sont morts que pour ceux qui ont survécus. Elle rapporte la vision des victimes et des auteurs et les effets de la justice internationale sur ces personnes à travers des histoires très simples, accentuant ainsi la proximité entre celles-ci et le lecteur.

They would never hurt a fly, de Slavenka Drakulic (en anglais seulement) – Penguin Books, Réimpression (25 octobre 2007), 224 pages, 9€61.

lundi 20 août 2007

Note de lecture : The Genocide Convention – An International Law Analysis



Pour qui dispose du temps (et des connaissances en anglais) pour se plonger dans la lecture de l’ouvrage de John Quigley, l’exercice est passionnant.

The Genocide Convention, malgré un début peut-être un peu lent, entraîne le lecteur dans les méandres de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée en 1948. Près de 60 ans après son adoption, cette courte convention (à peine neuf articles de substance) continue de poser des problèmes d’interprétation et d’application que la pratique des tribunaux nationaux et internationaux, peu à peu, tente de résoudre.

Qui n’a pas lu ou entendu dire que le 20è siècle avait produit trois ou quatre génocides ? Sont en général mentionnés les génocides des Arméniens, des Juifs et des Tutsis, avec comme variante celui des Bosniaques à Srebrenica, des Cambodgiens sous Pol Pot ou des Palestiniens à Sabra et Chattila. Cette tarte à la crème trop souvent servie ne fait toutefois pas justice à la notion de génocide.

John Quigley pose subtilement de nombreuses hypothèses qui démontrent que le génocide, le « crime des crimes », est probablement plus fréquemment commis qu’on ne l’imagine généralement. On pensera certes d’abord au génocide commis à large échelle. Mais Quigley aborde aussi la possibilité du génocide que peut commettre un simple individu, s’en prenant à quelques victimes, tout en ayant à l’esprit la volonté se faire disparaître un groupe de personnes particulier. The Genocide Convention aborde la possibilité du génocide commis par bombardement atomique, par attaques aériennes classiques, par la destruction de l’habitat d’un groupe protégé, par voie de purification ethnique.

Le génocide visant la destruction d’un groupe, qu’implique au demeurant cette destruction ? Pas nécessairement la mort de tous ou d’une grande partie des individus qui le composent. Faire disparaître ses opposants politiques peut-il donc être constitutif d’un génocide ? L’éradication de la classe dirigeante, de l’élite d’un groupe, suffit-elle ? Et au fait, que sont ces « groupes protégés » par la convention, et comment les définit-on ?

The Genocide Convention s’arrête évidemment aussi sur ce qui fait la spécificité du génocide : l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe protégé, en commettant un certain nombre d’actes constitutifs (meurtre, atteinte à l’intégrité physique, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction, etc.).

En 45 courts chapitres, John Quigley a commis un ouvrage précieux, au surplus agréable à lire, sans trop de technicité (tout de même un peu, c’est de droit dont il s’agit !). On regrettera peut-être que l’auteur laisse en définitive bon nombre des intelligentes questions qu’il pose ouvertes. Cela est toutefois le reflet de problèmes inhérents à la nature du crime de génocide, et à la définition que la convention de 1948 en donne.

Un obstacle tout de même : son prix, qui n’est pas à la portée de toutes les bourses.

John Quigley, The Genocide Convention – An International Law Analysis, Ashgate, Aldershot 2006, 284 pages, 55 £.

https://www.ashgate.com/shopping/title.asp?key1=&key2=&orig=
results&isbn=0%207546%204730%207

lundi 16 juillet 2007

Journée de la justice internationale: Darfour - Les massacres doivent cesser

En solidarité avec les victimes, le jet d’eau de Genève sera illuminé en rouge

Genève, le 16 juillet 2007 – À l’occasion de la journée de la justice internationale, le 17 juillet 2007, le jet d’eau de Genève sera illuminé en rouge. La Ville de Genève a ainsi répondu à une demande de l’association TRIAL (Track Impunity Always – association suisse contre l’impunité) visant à attirer l’attention de la population aux souffrances des populations civiles du Darfour et à exiger que justice soit rendue. Le Maire de Genève, Patrice Mugny, et le Président de l’association Sauver le Darfour, Mahor Chiche, se sont joints à cette action.

Mardi soir 17 juillet 2007, le jet d’eau de Genève sera illuminé en rouge. Le Conseil administratif de la Ville de Genève l’a formellement sollicité auprès des Services industriels de Genève, qui ont accepté cette demande formulée à l’origine par l’association TRIAL. Durant quelques heures, le symbole le plus connu de Genève revêtira la couleur du sang qui coule encore au Darfour.

Solidarité avec les victimes : le jet d’eau de Genève illuminé en rouge

Pour Patrice Mugny, Maire de Genève, « l’illumination de cet important symbole de Genève, capitale des droits humains, est un geste fort pour marquer les consciences. Cette action doit permettre de briser le silence qui persiste autour du drame du Darfour. Il est à espérer que d’autres grandes villes européennes entreprendront des actions similaires ».

Comme l’a en effet rappelé Mahor Chiche, Président de Sauver le Darfour, « les bombardements de l’armée soudanaise sur le Darfour ont tout récemment repris. Le respect du droit international par le Soudan est impératif. Celui-ci doit appliquer les résolutions du Conseil de sécurité. Il faut maintenant mettre en vigueur une zone d’interdiction de vols par les avions du gouvernement soudanais au dessus du Darfour. » Pour M. Chiche, le travail de la justice internationale doit également être renforcé, afin que les auteurs d’atrocités sachent qu’ils devront rendre des comptes.

Mettre un terme à l’impunité : le Soudan doit coopérer avec la Cour pénale internationale

L’association TRIAL, qui lutte contre l’impunité des auteurs de crimes internationaux (génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, etc.) a saisi l’occasion de la proximité avec la journée de la justice internationale pour s’adresser au Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Les 11 et 12 juillet 2007, le Comité des droits de l’homme examinait en effet le rapport périodique que lui a présenté le Soudan, sur la manière dont celui-ci met en œuvre le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (aussi dit Pacte II).


Au début du mois de juillet, TRIAL a donc déposé auprès du Comité des droits de l’homme un mémorandum juridique priant ce dernier d’ordonner au Soudan de coopérer avec la Cour pénale internationale sur la base du Pacte II.


Une telle recommandation serait porteuse d’espoir pour l’avenir. Il faut rappeler pour l’heure que c’est sur la base la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité que la situation relative au Darfour a été déférée à la CPI. Or, le Soudan rejette cette résolution. Que le Comité des droits de l’homme souligne que le Soudan doit coopérer également sur la base d’un traité que cet Etat a lui-même ratifié serait donc d’une grande importance. Les recommandations du Comité des droits de l’homme sont attendues avant la fin du mois de juillet.


Pour Me Philip Grant, Président de TRIAL, « l’exigence de justice est fondamentale. L’impunité est aujourd’hui encore la règle ». Certes, la Cour pénale internationale a lancé deux mandats d’arrêt contre des auteurs présumés de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre au Darfour (notamment pour meurtres, viols, tortures, pillage, etc.), Ali Kushayb et Ahmad Mohamed Harun. Mais ce dernier est actuellement le ministre en charge des affaires humanitaires. « Quel cynisme ! » a affirmé M. Grant. « L’action de la Cour pénale internationale doit absolument être soutenue et renforcée. A terme, plusieurs dizaines d’individus pourraient et devraient être inculpés. Ces inculpations sont nécessaires pour faire reculer le sentiment d’impunité et pour rendre justice aux victimes ».

Informer les victimes vivant en Suisse de leurs droits

Par ailleurs, TRIAL entreprendra prochainement un travail de sensibilisation à l’attention des victimes du conflit se trouvant en Suisse, afin d’expliquer les possibilités à leur disposition de s’adresser à la Cour pénale internationale, et de les aider dans leurs démarches.

Les victimes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide ont en effet non seulement la faculté de transmettre à la CPI des informations utiles aux enquêtes (preuves, témoignages) ; elles disposent également d’un droit de participer à la procédure, cas échéant de solliciter des réparations.

Pour TRIAL, il n’est pas non plus exclu que des poursuites pénales puissent être lancées en Suisse, dans l’hypothèse où l’un des responsables des atrocités commises au Darfour devait se trouver sur sol helvétique.

Pour plus de renseignements :

· www.trial-ch.org

· Philip Grant, Président de TRIAL : 076 455 21 21

· Mahor Chiche, Président de Sauver le Darfour : +33 6 50 84 02 24

mercredi 4 juillet 2007

Tribunal Spécial pour la Sierra Leone : quel bilan pour la justice internationale?

Par Sylvain Savolainen [1]

Le procès de l’ancien président du Libéria Charles Taylor s’est ouvert le 4 juin passé devant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, délocalisé pour ce cas à La Haye. Il s’agit à la fois du procès phare de cette cour et de son dernier. Créé en 2002 et prévu pour trois ans, le Tribunal Spécial mettra vraisemblablement huit ans pour juger neuf individus. Quel bilan se profile pour la justice internationale en Sierra Leone ?

Au matin du XXIème siècle, l’une des notions qui tend de plus en plus à s’imposer est celle du droit international. Du procès de Saddam Hussein aux Tribunaux Pénaux Internationaux pour l’ex-Yougoslavie ou le Rwanda, de la Cour Pénale Internationale au prochain Tribunal Spécial pour le Liban qui jugera les responsables de l'assassinat de Rafic Hariri, bafoué, invoqué, le droit international moderne prend ses marques. Dans ce contexte, quel bilan peut-on dresser du laboratoire qu’incarne le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone ? Le nouveau « modèle » de justice que le Tribunal Spécial devait incarner a-t-il été respecté ?

Le « modèle » sierra léonais s’articulait ainsi : un mandat resserré dans le temps, fondé sur une stratégie de poursuites limitée ; rendre justice dans le pays où les crimes ont été commis et devant une juridiction mixte, composée à la fois de Sierra Léonais et d’internationaux, afin que son impact national soit fort ; un coût financier maîtrisé et reposant sur des contributions volontaires.

A ce jour, dix accusés, cinq ans de procédures, environ 140 millions de dollars dépensés, et un seul jugement rendu. Le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone [TSSL], qui lors de sa création était tant porteur d’espoir et de renouveau dans le paysage de la justice pénale internationale, suscite à présent certaines réserves. Renforçant une impression de troubles, au cours de l’année écoulée, Sam Hinga Norman, l’ancien ministre de l’intérieur de Sierra Leone et principal accusé dans le procès des Civil Defence Forces [CDF], est mort quelques jours à peine après un traitement médical effectué à Dakar. Quant au greffier M. Lovemore Munlo, son départ a été accueilli comme la solution à une crispation grandissante. Le contexte actuel semble sensible. Certes, côté réussite, l’arrestation de Charles Taylor au mois de mars 2006 et sa remise au Tribunal marque un succès indéniable. Le procès de l’ancien chef d’Etat représente dès lors une opportunité précieuse pour le Tribunal Spécial d’honorer les attentes à son égard.

Outre le jugement de Taylor, la question de l’avancée des procès des CDF, du Armed Forces Revolutionary Council [AFRC] et du Revolutionary United Front [RUF] se pose. Dans les cas des CDF, un jugement a été rendu le 20 juin passé. Pour celui du ARFC, l'accusation comme la défense ont achevé de présenter leurs témoins, le jugement est en délibéré Dans le cas du RUF, la défense commence à présent à mener ses témoins. Concernant la stratégie d’achèvement des travaux du Tribunal, le greffier par intérim M. Herman von Hebel annonce que ce sont sept ans de procédures au lieu de trois initialement prévues qui s’annoncent.

Les facteurs d’enlisement

A ce titre, aussi bien les contributeurs au financement de la Cour, les observateurs, que la population de Sierra Leone -et les familles des accusés- s’impatientent. L’institution et sa maîtrise des dossiers sont questionnées. Cas emblématique du Tribunal Spécial, le procès des trois accusés du RUF: Issa Sesay, Morris Kallon et Augustine Gbao. Le procès entamé en juillet 2004, ce n’est qu’à présent, soit trois ans après le début des audiences, que la défense commence à présenter ses témoins.

De manière générale, comment expliquer un tel retard dans les travaux TSSL ? Du côté du greffe, Herman von Hebel analyse « D’abord, les estimations de départ étaient irréelles ; la complexité des cas est très grande. Ensuite, le fait qu’une Chambre se penche sur deux cas en alternance a passablement ralenti les travaux. Une plus grande autorité des juges sur les différentes demandes des parties auraient pu accélérer les choses. Enfin, pour des procès du type de ceux que nous avons, avec un système de Common Law et le nombre de témoins que cela implique, les procédures deviennent extrêmement longues. Probablement qu’avec une plus grande utilisation de Droit civil, les procédures pourraient être en partie accélérées ».

Deux avocats de la défense, Clare Da Silva, ancienne avocate de Sam Hinga Norman au TSSL, et Wayne Jordash, avocat d’Issa Sesay, relèvent essentiellement d’autres aspects : « L’ampleur des actes d’accusation a été une erreur. Ils n’auraient pas dû être si larges. Inévitablement cela a engendré une surenchère de témoins et de procédures. Le procès RUF en est un bon exemple » commente Clare Da Silva. Wayne Jordash complète : « Je sais que l’on reproche à la défense des contre-interrogatoires systématiques et excessivement longs. Mais ce qu’implique l’acte d’accusation en termes de faits, de lieux, d’éclatement géographique, de cadre temporel est tout simplement colossal. Les chefs d’accusations et certains crimes reprochés sont par ailleurs vagues. Donc difficile à contrer ; ce qui génère une procédure toujours plus exigeante en termes de témoins, de faits reprochés, de preuves. Nous avions à ce titre demandé que les actes d’accusations soient resserrés ; cela a été refusé. Le résultat est une procédure sans fin. » Les deux avocats regrettent également le manque d’expérience généralisé au sein des différents organes du TSSL pour des procès et des crimes d’une telle envergure.

Enfin, dans son second rapport consacré au TSSL, le Centre d’Etudes des Crimes de Guerre de l’Université de Berkeley souligne que l’« on peut attribuer une partie des retards de procédures à l’attitude de la Chambre. Non pas tant en raison du manque d'intervention, mais plutôt par l'adoption de pratiques qui tendent à causer un retard procédural. . Cela notamment par l’habitude prise de rédiger une décision lors d’une audience publique (…) (parfois après avoir ajourné l’audience pour délibération de cette décision écrite). De demander aux témoins d’épeler les noms de personnes et de lieux, parfois à plusieurs reprises (en dépit de la disponibilité des transcriptions). De s'engager dans de longues discussions au sujet de détails de droit ou de langue employée par des avocats-conseils, détails qui ne sont pas directement liés au procès ou qui semblent se focaliser inutilement sur des sujets de moindre importance, ralentissant par là même la procédure. » [2] Le commentaire est cinglant, la critique non masquée. Abondant dans ce sens, les retards réguliers des juges aux audiences et certaines incompétences sont des reproches régulièrement formulés en aparté.

Nouvelles inculpations, fonctionnement et coûts

Emplois en jeu, une juridiction comme le TSSL est-elle une machine qui s’autogénère ? Herman von Hebel répond: « Est-ce que dans un cas comme celui de la Sierra Leone l’exercice d’une justice pénale internationale prend du temps ? Oui. Est-ce que cela à un certain coût ? Oui. Peut-on rendre une justice de qualité dans des délais et des coûts plus restreints ? Je ne pense pas. » Au niveau du budget, ce sont 89 millions de dollars qui sont prévus pour les années 2007 à 2009, repartis à raison de 64 millions pour Freetown et 25 millions pour le procès Taylor à La Haye. Au fur et à mesure des échéances, une réduction graduelle du personnel devrait être effectuée. A ce jour, le staff (306 employés dont 172 Sierra léonais qui occupent généralement des postes de faibles qualifications) représente 69% des coûts du TSSL.

Reste la question d’éventuelles nouvelles inculpations liées au procès de Charles Taylor. Robin Vincent, ancien greffier du TSSL, rappelait en avril 2006 qu’« il faut se souvenir que tant l’ancien procureur que son successeur à Freetown ont toujours dit qu’il pourrait y avoir un autre acte d’accusation. » [3] Il n’y en aura pas. La décision est confirmée tant par un proche du Tribunal -qui évoque notamment la pression des coûts qui aurait été décisive- que par le greffier par intérim lors d’une interview téléphonique. M. von Hebel réfute cependant les raisons financières. On peut en douter. La décision est néanmoins chargée de sens : sous menace d’asphyxie financière, la justice reste au garde à vous. Ibrahim Bah et Benjamin Yeaton apprécieront. Les deux « bras » de Charles Taylor, longtemps dans la ligne de mire du Tribunal, sont considérés comme les responsables du réseau financier et des opérations militaires de l’ancien Président. La décision sonne donc comme un abandon et un échec du Tribunal. D’autres, au contraire, y verront un sens des réalités et des responsabilités quant à la capacité réelle du TSSL à mener à leur terme des procès dans des délais raisonnables.

Toutefois, pour rappel, la résolution 1315 du 14 août 2000 du Conseil de Sécurité qui a permis la création du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone signalait: « que la communauté internationale ne ménagera aucun effort pour ceux qui commettent ou autorisent la commission de graves violations du droit international humanitaire soient jugés conformément aux normes internationales de justice »[4]. L’intention semblait claire. S’il est en effet difficile de récuser la nécessité d'un budget maîtrisé, quel est cependant le financement accordé à la justice internationale comparé à celui de la guerre ?

Le test : empreinte et analyse d’un modèle

A travers ce débat, c’est en fait la question du modèle de justice qui est posée. Lors de sa création, le TSSL devait incarner un nouveau modèle de justice pénale internationale. Après cinq ans d’exercice, quel bilan ? Un employé du Tribunal analyse « Parmi les succès acquis, l’arrestation des accusés et de Taylor évidemment. Cela crée un précédent fort dans la lutte contre l’impunité en Afrique. Reste à connaître les jugements bien sûr. Ensuite, le programme d’information et de sensibilisation du Tribunal (outreach programme) destiné à la population locale est unanimement reconnu. Par ailleurs, s’il est vrai que Charles Taylor va être jugé à La Haye, sur dix procès, neuf se seront déroulés en Sierra Leone ; la justice in situ aura été respectée, c’est également un progrès. Au registre des critiques, je dirais qu’elles reposent principalement sur des cas manifestes d’incompétence couplés à une inertie administrative. Enfin, depuis l’arrivée du TSSL, aucun effort n’aura été effectué pour faire évoluer les juridictions locales. On pourra rétorquer que tel n’était pas le mandat ; cela néanmoins laisse perplexe.»

Au chapitre de la juridiction mixte, selon les statuts du TSSL, le procureur adjoint doit être sierra léonais. Depuis la création du Tribunal, trois procureurs ont été nommés, deux procureurs adjoints –dont Desmond da Silva devenu procureur-, trois chefs de l’accusation, deux chefs des enquêtes, trois chefs de la direction juridique. Sur ces treize postes clés : sept Américains, deux Anglais, deux Canadiens, un Australien et…. pas un seul Sierra léonais. Sur cette entorse aux statuts, le greffier par intérim répond « Je ne peux que constater le fait. Je ne pense pas que ce soit correct vis-à-vis de la Sierra Leone. » Comme d’autres avocats, Clare da Silva et Wayne Jordash dénoncent d’autres déficiences. Accusé de pénaliser une justice de qualité, le Bureau de la Défense est mis à l’index. Entre autres exemples, l’avocat d’Issa Sesay relève : « Mon bureau est un local de 8m2 ; nous sommes parfois cinq dedans. Mon équipe et moi avons un seul ordinateur que nous devons nous partager. J’ai demandé un bureau plus grand ainsi qu’un un autre ordinateur. Le Bureau de la Défense me l’a refusé. Non pas pour des raisons budgétaires mais sur le principe même de ma demande. La disproportion est incroyable ; comparée aux moyens mis à disposition de l’accusation, c’est tout simplement choquant. »

Un rapport sur le fonctionnement du TSSL a été commandé par le Management Committee au Juge Antonio Cassese. De sources du Tribunal, rien d’explosif dans ce rapport. Ceci étant, six mois après sa reddition, il n’a toujours pas été rendu public.

Reste la question de l’empreinte concrète et durable de la justice en Sierra Leone. Il est clair que rien n’a été entrepris à ce jour par le TSSL pour influer sur le système judiciaire sierra léonais, gangrené par ses insuffisances et sa corruption. Pour y remédier, différents projets de legacy sont prévus. Il est prévu que le juge Benjamin Itoe qui siège à la Chambre I du Tribunal les supervise. Concrètement, les plans restent très vagues. Les plupart des financements ne sont pas garantis, les objectifs précis ne sont pas encore définis, ni d’ailleurs les méthodes d’évaluation et les critères d’efficacité.

Peut-on dès lors considérer que le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone est en phase d’accomplir un bilan honorable? Probablement. L’un des accomplissements premiers et implicites du TSSL aura été de contribuer à développer la notion de justice internationale. Cela n’élude pas pour autant la question des compétences et des précautions à prendre pour éviter une justice accordant la plupart de ses moyens à l’accusation et minorant la défense. Autre point au crédit du Tribunal, les accusés sont de taille : un ancien chef d’Etat et un ministre de l’intérieur entre autres. En revanche, le fait que les responsabilités financières n’aient pas été poursuivies, alors que le conflit de Sierra Leone a essentiellement tourné autour des diamants, est à déplorer amèrement.

Quant au « modèle de justice sierra léonais », des entorses non négligeables ont été commises. En termes de délais et de coûts, si la stratégie d’achèvement des travaux est respectée, les excès seront probablement pardonnés. Le TSSL aura réalisé son mandat en sept ans et coûté bien moins cher que le TPIR ou le TPIY. C’est sur le plan de l’engagement pris vis-à-vis de la Sierra Leone, que les critiques les plus acerbes pourraient être portées. Que Charles Taylor soit jugé à La Haye et non à Freetowm, comme prévu, peut se justifier. Le fait qu’une juridiction pénale internationale décide d’évacuer un puissant chef de guerre du terrain encore tiède des combats afin d’éviter la déstabilisation d’une région, peut se comprendre et pourrait se reproduire à l’avenir. En revanche, quelle va être la contribution tangible du TSSL sur le développement du système judiciaire national ?

Juridictions locales : abus et criminalisation de la pauvreté

La résolution 1315 du 14 août 2000 du Conseil de Sécurité a permis la création du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone. Celle-ci souligne le besoin de « créer un tribunal fort et crédible qui permettrait de répondre aux objectifs de justice et du rétablissement d’une paix durable »[5]. Clairement rendre justice représente donc un élément fondamental dans la recherche de la paix en Sierra Leone. Alors que le mandat de Tribunal Spécial se cantonne à « ceux qui portent la responsabilité la plus lourde des crimes », les procès de quelques responsables par un tribunal pénal international peuvent difficilement être, à eux seuls, les garants d’une paix durable reposant sur la notion de justice. La nécessité d’un certain impact sur le système judiciaire local doit se faire sentir afin de garantir une justice pour tous, accessible et impartiale. Selon les déclarations maintes fois répétées du président Ahmad Tejan Kabbah, comme selon les recommandations du Conseil de Sécurité de l’ONU, la paix en Sierra Leone est à ce prix.

C’est à ce titre, que l’intérêt du TSSL doit représenter plus qu'une justice abstraite destinée à la communauté internationale. Ce dernier est également censé signifier une justice ayant un impact réel et tangible sur la vie quotidienne de la population. Pourtant, à ce jour, l’effet des vases communicants qui aurait voulu que la présence du Tribunal Spécial ait un impact positif sur les tribunaux locaux est nul.

En 2000, plus de 200 combattants présumés du RUF et des West Side Boys [6] furent arrêtés et détenus à la prison de haute sécurité de Pademba Road à Freetown -à quelques centaines de mètres à peine du Tribunal Spécial- sur la base d’accusations de meurtre et de fusillade avec intention de tuer ou de blesser. Les procès n’ont commencé qu’en 2005 et les accusés n’ont pas eu de représentation légale pendant plus de quatre ans.

Clare da Silva relève également : « La détention et les procès de centaines d'anciens combattants de RUF, arrêtés à la même période, ont été caractérisés de 2000 à 2006 par de graves abus. Ces anciens combattants ont été détenus pendant longtemps sans acte d'inculpation, ils n'ont pas bénéficié d'une défense adéquate, ils ont été contraints par la force à signer des déclarations à charge et ont été victimes de violences physiques entraînant parfois la mort. Ces anciens rebelles sans grade, dont des enfants soldats, ont été soumis à la condamnation à mort et à l'absence de toute garantie judiciaire, ou si peu ». [7]

Par ailleurs, neuf anciens membres du RUF et du AFRC, ainsi qu’un un civil, ont été condamnés à la mort pour trahison en décembre 2004. La sentence est tombée quelques semaines après que la Commission Vérité et Réconciliation ait recommandé que le gouvernement suppriment la peine de mort. Une recommandation ignorée de manière flagrante par les juridictions locales. Un appel déposé en 2005 doit être considéré ; rien ni aucune volonté n’indique que l’appel sera prochainement traité.

Clare da Silva, qui salue la tenue du procès de Charles Taylor, souligne cependant: « En l'absence d'impulsion et d'engagement du gouvernement Kabbah, le changement du système judiciaire en Sierra Leone est excessivement lent à venir. Les procédures en appel ne peuvent aller de l'avant car il n'y a pas de papier pour établir les procès-verbaux d'audience. Comme il n'y a pas de système de classement et d'archivage organisé, trouver un dossier peut prendre des mois, voire des années. Les employés de la prison et du tribunal à Freetown semblent motivés par les pots-de-vin et pas par grand-chose d'autre. Derrière les barreaux de la prison de Pademba Road, des détenus purgent des peines de quatre à cinq ans de prison parce qu'ils n'ont pas les moyens de payer une amende de 150 dollars. Cela n'a rien à voir avec la justice. Cela s'appelle criminaliser la pauvreté ». [8]

La Sierra Leone sera-t-elle un moyen ou un but pour la caravane de la justice pénale internationale ? La question est fondamentale puisqu’elle renvoie à la légitimité d’une institution qui aura su, voulu, ou non, favoriser l’appareil judiciaire d’un état à pouvoir juger ses criminels par une justice efficace et garante des normes internationales. Il reste deux ans au Tribunal Spécial pour la Sierra Leone pour y répondre.

[1] Reporter, auteur du documentaire radio « Sierra Leone, l’éveil d’une nouvelle justice internationale ? », 2h, Les Forts en thème, Radio Suisse Romande – Espace 2.

[2] Second interim report on the SCSL, « Bringing justice and ensuring lasting peace : Some reflections on the trial phase at the SCSL » by Michelle Staggs, 30 March 2006, U.C Berkeley War Crimes Studies Center.

[3] Pourquoi juger Charles Taylor à La Haye ?, International Justice Tribune, 10 avril 2006.

[4] http://www.un.org/french/docs/sc/2000/res1315f.pdf

[5] http://www.un.org/french/docs/sc/2000/res1315f.pdf

[6] Groupe armé rebelle, proche du AFRC, formé de très jeunes miliciens.

[7] The Guardian, édition électronique, 4 juin 2007.

[8] Ibid.